Dernieres nouvelles du Sud

De Luis Sepulveda et Daniel Morzinski

Traduction de Bertille Hausberg

Edition  Métailié, 190 p., 20 €.

  Ola, ça y est j'embarque enfin! Je n'ai pas tergiversé beaucoup quand 
 j'ai appris la nouvelle. J'ai pris mon guide du routard, mon sac à dos. 
 J'y ai fourré pêle-mêle un gros pull, des vêtements chauds, mon dico 
 d'espagnol, mon appareil photo, mon stetson, ma thermo de café. Et 
 surtout mon passeport, visa primordial pour la grande aventure, les 
 grands espaces. Fébrile, les jambes cotonneuses dans l’expectative d’un 
 acte cauteleux qui ruinerait mes aspirations à néant, j'atterris à 
 Buenos Aires.
 
 Nous sommes en 1996, l'Amérique latine a subi bien des changements 
 depuis mon dernier voyage, effaçant les traces passées de mes errances, 
 de mes souffrances et de mes luttes. Mais aujourd'hui je dispose d’un 
 guide exceptionnel : el señor Luis Sepùlveda est venu m'accueillir. Son 
 visage respire l'Amérique latine, son embonpoint m'incite à découvrir 
 la bonne chair patagonne. Il me salue d’une franche accolade. Patagonie 
 me voici m’écriai-je en foulant le tarmac m’abstenant d’embrasser le 
 sol.
 Le périple s’ébauche dans mon esprit, la délinéation des paysages 
 s’esquisse devant mes yeux. Le maté frémissant dans sa calebasse 
 m’enivre exquisément de ses effluves aux arômes amers et astringents et 
 me met en appétence. Mais une voix rocailleuse à l’accent érodé par le 
 vent de la pampa brise mes divagations poétiques. Le friselis de 
 l’épopée s’évapore aussitôt.
 
 Mon guide s’esclaffe devant mon désappointement, un autre écueil sourd 
 à l’horizon : l’administration ! Ecueil indispensable à surmonter pour 
 l’obtention de ma félicité. Le voyage va pouvoir commencer.

  Notre véhicule quitte enfin la ville tentaculaire aux gratte-ciel qui tentent de 
 rivaliser avec les montagnes avoisinantes, s'engouffrant sur la panamerica, 
 direction le sud. Un vent de liberté envahit mon cœur tandis 
 qu'inexorablement nous nous enfonçons dans la steppe chilienne. C'est là qu'une 
 ombre silencieuse et ondoyante apparut subrepticement alors que le vent menaçant 
 se profilait devant nous. El Tano, l'italien nous invite à le suivre dans son 
 domaine d'exploration. Il ausculte les branches mortes à la recherche de leur 
 âme, les caressant lentement à la recherche d'un nœud ou de la sonorité, 
 délaissant impitoyablement les branchages inintéressant pour se replonger dans 
 une nouvelle quête. Sa tâche finie , il nous entraîne tout sourire dans son 
 atelier et nous déclame sa vie, son amour pour les instruments de musique. Le 
 temps semble suspendu comme une partition dans son cabanon; on écoute ses 
 silences et ses soupirs relatif à la vie d'ermite luthier. Il est temps pour 
 nous de délaisser notre hôte pour rouler vers d'autres lieux et d'autres 
 rencontres enchanteresses.
 
 
 
 Plus au sud, reine de son potager, siège Doña Delia Rivera de Cossio au visage 
 défraîchi recouvert de fils d'argent. Mélange de sorcière et de sylphide d'une 
 autre ère, la vieille répare les blessures de la nature, engendrant des 
 bourgeons sur les branches mortes négligées par ses semblables. Ses mains ne 
 peuvent rien contre le cœur sec des hommes qui ravagent sa région et rachètent 
 les terres. Le sang fleuri coule à nouveau dans nos artères, revivifiant nos 
 ardeurs, nous reprîmes nos pérégrinations enfilant des perles de souvenirs sur 
 les fils des Nornes.
 
 Balayés par les vents glacés des terres isolées, les paysages défilent et la 
 Terre de Feu se dévoile comme une mariée, fragile et belle dans sa robe 
 diaphane. Charme sauvage, éclat éphémère d'une sculpture de glace, rêve ou 
 réalité comme ce lutin facétieux d'el Duende qui rôde à la recherche de 
 victuailles, la Patagonie fluctue au fil des jours et des saisons.
 La destination finale est proche, je clos mon voyage et range précieusement mon 
 livre en attendant un jour d'y mettre les pieds....