De Jim Harrison
Édition 10/18, 324 pages
J'ai quarante-cinq ans. J'ai décidé de quitter cette vie. Je ne veux plus être un fardeau pour ma famille. Je souffre depuis deux ans d'une sclérose qui me rend, désormais, spectateur de ma vie. Avant de rejoindre la Terre de mes ancêtres, il me faut léguer la mémoire de mes aïeux, de mon peuple aux miens.
Moi, c'est Kenneth, mais je préfère qu'on m'appelle K. Donald a réclamé ma présence. C'est un peu mon père; petit il m'emmenait souvent en promenade ou à la pêche, voire dans les réunions ancestrales. Ah oui, Donald il est moitié blanc moitié indien.
"Est-ce que t'es un vrai Indien?
_ À moitié, lui ai-je répondu.
_ Comment on peut être quelque chose à moitié?" fit-elle alors" (Donald, page 72).
Je suis le frère de Cynthia, David. Notre père, un alcoolique névrosé et obsédé, avait engagé ,un rude gaillard islandais, comme jardinier.Clarence, le père de Donald. Donald, c'est mon beau-frère, mais aussi un ami. Je reviens du Mexique, où je tente de fuir le fantôme de mon géniteur, afin d'assister Donny dans ses dernières volontés.
Je m'appelle Cynthia, vous me connaissez déjà. Avec Donald, je suis l'un des personnages récurrents de cette histoire. Je ne peux le montrer, mais je suis effondrée par la perte imminente de mon amant.
" (...) j'ai trouvé inimaginable que mon amant depuis trente ans puisse mourir. Ainsi à la table de cuisine, j'ai regardé fixement mon café et mon bol de céréales comme s'ils abritaient une réponse acceptable pour mon cerveau, lequel était pris de tournis face à l'inévitable" ( page 48).
J'ai beau être très forte, je sombre peu à peu dans ce lac sombre et sans fond de la dépression. Ma vie s'étiole dans la lente et douloureuse agonie de mon aimé.
Quand l'un d'entre eux ferme les yeux, ce sont les autres qui doivent subitement les ouvrir sur ce monde qui s'écroule autour d'eux. Sans l'aura fédératrice, les protagonistes vont devoir explorer de nouvelles voies, de nouvelles facettes de leur vie.
" Chacun (...), était en proie à ses propres dilemmes intimes et s'efforçait en vain de s'accrocher à une froide logique" (page 107).
Chacun devra affronter ses peurs, ses dénies, ses amours cachés ou encore combattre ses démons.
" En les regardant tous les deux, j'ai pensé que nous avons tous du mal à admettre que la vie est différente pour chacun d'entre nous" (K., page 111).
Le passé et le présent se croisent, s'entre-mêlent, s'entre-choquent pour se fondre dans cette nature et ces croyances indiennes autour de Donald et de Flower. À travers Donald, c'est l'Amérique traditionnelle et ancestrale qui disparaît peu à peu, c'est le peuple Indien qui lutte pour ses coutumes et ses différences, mais ce sont aussi les peuples minoritaires qui font entendre leurs voix, leur histoire.
Une histoire, ou plutôt quatre histoires (un peu, toute proportion gardée, comme le Quatuor d'Alexandrie de Durrell) qui invitent à la réflexion, sans jamais sombrer dans le mélancolique, sur les complexités structurelles de l'être humain, sur les recherches de la jouissance et de l'identité, sur les réactions face à la mort, l'euthanasie ou encore l'amour.
" J'ai fait trois siestes dans ma voiture et à chaque fois je me suis réveillé ravi de vivre sur cette terre malgré la nature désespérément faussée de notre existence" (David, page 219).
Un hymne à la vie, à la nature, une pêche initiatique à la découverte de l'égo et de la beauté en plein cœur du Michigan, sur les bords du lac Supérieur.
" (...) il est difficile de vivre en compagnie d'une vie non vécue" ( Cynthia, page 253)
Alors faut-il attendre de mourir pour apprendre à vivre?