De Svava Jakobsdóttir
Titre original Leigjandinn/ Saga handa börnum
Traduction Catherine Eyjólfsson
Un locataire qui s’installe chez vous, en soi cela n’a rien d’extraordinaire. Mais quand celui-ci commence à déplacer vos meubles, prendre possession de votre vestibule et de votre cher canapé, on se dit que forcément cela cache quelque chose. C’est par cette métaphore que Svava Jakobsdóttir dénonce, en 1969, l’implantation militaire américaine en Islande ainsi que le péril atomique qui menace. Une Islande encore traditionaliste qui voit peu à peu, sous l’influence de cette toute puissante Amérique, poindre l’aube de la modernisation. Ainsi que l’héroïne cantonnée jusqu’ici dans sa cuisine et ses devoirs domestiques, acquiert une nouvelle force.
« Il fallait maintenant donner suite à ce premier temps. La démarche lui était totalement inconnue et il lui fallait progresser prudemment, à tâtons. Cette démarche demandait du courage ; le terrain sur lequel elle avançait ne devait percevoir aucune faiblesse de sa part. C’est pourquoi elle écarta les deux hommes du canapé comme si le meuble n’était qu’un élément sans importance dans cette affaire » (page 84).
A travers cette femme, c’est l’émancipation féminine mais également celle de son pays que réclame cette auteure engagée, prônant la résistance de son Islande qui perd lentement de sa liberté en contrepartie de la générosité et des dividendes étrangers.
« Les paroles de Pétur l’avaient touchée au vif, elles l’avaient désignée comme n’étant pas libre. Et maintenant c’était la honte qui l’empêchait de quitter l’abri du rideau pour regarder dans les yeux l’homme sur la grève. Sous la surface imposante et libérale se cachait donc encore le souvenir de l’assujettissement comme un abcès qui une fois percé, répandait le poison de l’humiliation dans les veines. Le passé s’était incrusté, il se propageait vers la peau et engloutissait tout ce qui avait été gagné. Elle s’appuya au mur et quand elle sentit la fraicheur de ce contact intime avec la pierre, un autre souvenir, plus récent, surgit dans son esprit : elle pouvait résister. Elle possédait une force que nul passé ne pouvait vaincre. Qu’importait ce que cet homme pouvait penser ou ce qu’on lui avait dit ? Ce type insignifiant sur la grève ? Il lui suffisait à elle de savoir qu’elle était libre et Pétur et le locataire avaient raison de ne prendre aucun risque. Mieux vaut être seul à se savoir libre et conserver sa liberté que se hasarder à la mettre en pratique vis-à-vis des autres » (page 98).
Un petit texte surprenant, aux idées fortes et porté par une écriture tout en douceur et en finesse qui décrit un quotidien morne, répétitif et mécanique où le rêve n’a guère sa place, si ce n’est le temps éphémère d’une cigarette fumée en écoutant la radio et en pensant à cette maison neuve qui l’attend patiemment en bordure de mer. La seconde histoire traite une autre facette du féminisme : le sacrifice maternelle pour l’éducation des enfants, l’altruisme d’une femme qui pour satisfaire la curiosité intellectuelle de ses enfants renonce tour à tour à un orteil puis à son cerveau avant de finalement… mais pour savoir il faut la lire. Comme souvent dans la littérature nordique, l’humour et le cynisme sont omniprésent, souvent poussé à l’extrême, mais cela fonctionne. Encore une bonne découverte. Mon deuxième ouvrage de la maison d’édition Tusitala, maison qui a pour but de mettre en avant des œuvres non encore traduite à ce jour, et certainement pas le dernier.